14 novembre 2020

Café Guerbois berceau de l'impressionnisme (partie 2)

 Partie 2 : Discussions sur des thèmes picturaux.

Les rencontres entre peintres, écrivains et critiques d’art allaient générer de nombreuses discussions dont la finalité, encore méconnue à ce stade, était le projet d’une peinture Nouvelle, ce sera l’Impressionnisme. A l’opposé de la peinture académique, des questions sur la couleur, le traitement de l’ombre, le travail en plein air, cristallisaient les esprits. Les jeunes peintres en étaient qu’au début de leur carrière et les esprits s’échauffés vite les idées étant nombreuses Il leur était  difficile d’obtenir un consensus, tout le monde ne partageant pas le même point de vue.

  fig 1 Le Moulin de la Galette

Pourtant la couleur qui était à l’origine de discussions intéressantes au café Guerbois, faisait l’unanimité autour du Noir. Les nouveaux peintres ne pouvaient admettre l’utilisation de fonds bitumeux ni la patine faite avec des couches de vernis de plus en plus foncés utilisés par les anciens. Ils voulaient du frais, du vif, du coloré, du clair. Renoir qui utilisait à l’époque le Noir (figure 1), allait changer d’optique suite à sa rencontre avec Diaz de la Peña qui venait de lui faire une remarque, alors qu’il peignait en forêt de Fontainebleau
                  « Ce n’est pas mal dessiné, mais pourquoi diable peignez-vous si noir. »

En ce XIX e siècle la pratique de la couleur s’enrichissait de pigments industriels et du tube de peinture en métal, souple, compactable, fermé hermétiquement à l’aide d’une pince. (John Goff Rand). L’utilisation de la couleur était facilitée car l ’industrie chimique mettait à la disposition du peintre, des couleurs plus régulières, une palette plus ouverte, des composants plus stables pour la durée de vie de la peinture principalement les tons clairs qui se fanaient vite en s’assombrissant. Manet (figure 2) .. inaugura la peinture en aplats de couleurs vives, une méthode que nous cherchions tous dira plus tard Pierre Auguste Renoir.
 
  fig 2 Le Fifre 1866

Cézanne
se distinguait des autres en ce sens que disait-il, il ne peignait pas mais enregistrait des sensations colorées qu’il utilisait pour construire la ligne et le modelé. Le peintre McNeil Whistler, lui, travaillait blanc sur blanc par des camaïeux de blanc vaporeux (figure 3)
                                              .fig 3 Symphonie en blanc n°1 1861-1862 
Les autres peintres utilisaient quant à eux, une méthode plus scientifique. D’après Newton (1666) on savait que le blanc était une abstraction et que le noir n’existait pas, qu’il existait trois couleurs primaires bleu, jaune et rouge et des complémentaires résultant de l’association de ces trois couleurs deux à deux. Mais surtout Eugène Chevreul (figure 4) avait écrit en 1839 un volumineux livre.

                    fig 4 Eugène Chevreul photo de Félix Nadar 1866 

sur les contrastes des couleurs et leurs influences réciproques. Ce livre difficile à lire, avait été rendu accessible pour les élèves de Lycée, grâce au Directeur des Beaux-arts Charles Blanc. Ces notions découvertes empiriquement par les impressionnistes qui reconnaissaient cependant, avoir pris connaissance des études de Chevreul comme l’écrivait Camille Pissarro à son fils Lucien 
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« Parbleu, si je ne savais pas comment les couleurs se comportent depuis les découvertes de Chevreul et autres savants, nous ne pourrions poursuivre nos études sur la lumière avec tant d’assurance. »

Un des sujets le plus souvent à l’ordre du jour au Café Guerbois était la ou les questions suscitaient par le traitement de l’ombre. Sa représentation sur la toile était un des sujets de discorde entre anciens et ceux de la nouvelle peinture. Edouard Manet avait sur le sujet une opinion académique et s’opposait donc à celle des futurs impressionnistes. Pour lui la lumière se présentait avec une telle densité qu’un seul ton suffisait pour la rendre et donc il lui paraissait préférable de passer brusquement de la lumière à l’ombre plutôt que d’interposer des choses que l’œil ne voyait pas.

 

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Dans toile « Le Buveur d’absinthe » (figure 5) il passe brusquement du corps à son ombre traitée isolément avec solution de continuité.
Les compagnons de Monet avaient une autre approche qui leur venait du travail fait dehors. En observant l’ombre sur le sol, ils se rendaient compte que l’ombre n’était pas totalement privée de lumière ni plus sombre que le reste. Etant moins pénétrée de lumière, (figure 6) les parties ombragées n’offraient pas les mêmes valeurs
 
              fig 6 Bords de Seine
   
de couleur que celle exposée au soleil mais était tout aussi riche de tons où dominaient les couleurs complémentaires, surtout le bleu autant pour le sol que le plan d’eau. C’est pourquoi ils devaient abandonner le processus habituel qui consistait, en représentant la couleur locale de chaque objet de plus en plus sombre au fur et à mesure qu’il s’éloignait de la source lumineuse.
En vue d’étudier plus à fond ces questions, Monet, Pissarro, Sisley et Renoir se consacrèrent aux paysages d’Hiver. Pour eux (figure 7)

                                                    fig 7 La Pie

une ombre portée sur la neige n’était jamais bitumeuse à la place du blanc on percevait dans les ombres projetées par un objet les tonalités de l’objet lui-même, modifiées par l’atmosphère générale. De nombreuses années après Renoir s’expliquait sur le fait que des zones exposées à la lumière ont une influence sur celles qui demeurent à l’ombre 

« Le blanc n’existe pas dans la nature. Vous avez un ciel au-dessus de cette neige. Votre ciel est bleu. Ce bleu doit se détacher dans la neige. Le matin il y a du vert et du jaune dans le ciel, ces couleurs doivent se voir ; le soir il y a du rouge et du jaune que l’on doit également retrouver. Un arbre ne peut pas être peint en deux couleurs clair et sombre, c’est le même objet, sa couleur est la même partout avec simplement un voile jeté dessus. Les ombres ne sont pas noires, aucune ombre est noir. Le noir et le blanc ne sont pas des couleurs. » 

Les nombreuses discussions sur la couleur et l’ombre débouchées automatiquement sur la question de la légitimité du travail en plein air. Si Manet, Degas et Fantin-Latour ne cachaient pas leur hostilité, (les anciens maîtres n’avaient jamais travaillé dehors), Monet et ses amis ne pouvaient manquer de vanter l’infinie variété des couleurs et la grande pénétration de la lumière et de ses reflets que favorisait leur méthode même s’ils n’en étaient encore qu’à une phase d’expérimentation. Dans « La Liseuse 1872 – Baltimore » (figure 7) en mettant . la jeune femme en retrait, (probablement Camille) visage et mains se dissolvent dans l’ombre et les taches chatoyantes lumineuses et ruisselantes de la robe et de l’herbe au premier plan, Monet, affirme sa volonté de faire de la lumière qu’il construit son véritable sujet. Il se souvenait des sentences d’Eugène Boudin :
 
                                    fig 8 La Liseuse 

« Trois coups de pinceau d’après nature valent mieux que deux jours de travail au chevalet » ou « Tout ce qui est peint directement et sur place a toujours une force, une puissance, une vivacité de touche qu’on ne retrouve plus dans l’atelier. » 

Pour Rémy de Gourmont Monet est le seul du groupe qui répondait au mot impressionniste, car il était le seul à mettre en accord la théorie et la pratique dans l’art de rendre par la peinture telle qu’il les reçoit les impressions colorées qu’un œil peut recevoir.

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