25 février 2013

D’Hippocrate à Laennec ou de la clinique à la paraclinique


                     
Henri Bellery-Desfontaines, La Contre-visite de l'interne ou L'Auscultation
 

          Le 11 juin 1804, René Laennec était reçu docteur en médecine, après avoir soutenu avec le plus grand éclat sa thèse inaugurale, sur la « Doctrine d'Hippocrate appliquée à la médecine pratique. » Il n’est donc pas étonnant que Laennec soit venu au secours d’Hippocrate, clinicien pur, en inventant un instrument  dont l’utilisation paraclinique complétait et précisait les enseignements du maître de Cos.

          Le grand médecin de l’antiquité, Hippocrate avait des connaissances telles qu’il utilisait le moindre symptôme ou signe pour appréhender l’évolution et le pronostic d’une maladie. Ce n’est que le manque de moyens d’investigations et seulement eux, qui ont alors retardé de plus de deux mille ans l’essor de la médecine. En effet Laennec ne fera que reprendre et condenser la pensée d’Hippocrate qui déjà écrivait : « Explorer est une grande partie de l’art. »

           Ce besoin d’explorer lui avait donné l’idée de l’auscultation thoracique lorsqu’il proposait, dans certaines pleurésies (liquide dans la plèvre qui entoure le poumon) de recourir à la manœuvre de « succussion hippocratique » c’est à dire secouer le malade afin d’entendre les bruits produits par l’interface air/liquide. Il était plus précis quand il écrivait : « En portant l’oreille contre le thorax et en écoutant attentivement on perçoit comme un bruit de vinaigre. » Finalement les crépitations, les râles et les frottements que décrira Laennec, deux siècles plus tard, ne seront que la transposition à peine plus précise de ce que Hippocrate avait perçu et mentionné dans une langue déjà imagée.

         



Jusqu'au début du 19ème siècle les médecins examinaient leurs patients de façon directe, c'est à dire l'oreille collée au thorax afin de percevoir les bruits internes. C'est ce que l'on appelait et appelle toujours l'auscultation immédiate. Or, s’agissant d’une femme, le médecin se heurtait à un obstacle, celui des règles de pudeur déjà existantes, qui stipulaient de prendre le pouls « sans toucher la patiente » et pire encore lorsqu’il devait poser sa joue à même le sein pour écouter. Cet inconvénient prendra fin de manière tout à fait inattendue grâce à une invention que l’on doit à Laennec.


          René-Théophile-Hyacinthe Laennec était né  en 1781 à Quimper. C’est son oncle Guillaume Laennec qui l’incita à suivre des études de médecine dès l’âge de quatorze ans. Il réussit à se faire admettre comme chirurgien de 3ème classe aux hôpitaux militaires de Nantes. Travailleur acharné, il obtint tous ses diplômes. En 1801, il quitta sa Bretagne pour Paris. Toujours travailleur acharné, il publia de nombreux articles scientifiques et devint le médecin de personnalités (Chateaubriand, Madame de Duras, le cardinal Fesch,…), tout en recevant des patients sans revenus. Praticien célèbre, journaliste médical reconnu, son ascension fut vertigineuse.


          Au fil de ses années de pratique, il avait noté que l’air inspiré ou expiré produisait par suite de dérangements intérieurs certains bruits dont les modifications variées avaient chacune leur signification. Il mettait ainsi en avant une méthode permettant de diagnostiquer avec une précision quasi mathématique un grand nombre de pathologie cardiaque et pulmonaire. Fallait-il encore entendre plus aisément ces bruits afin de mieux les reconnaitre. Nous y voilà. En 1816, René Laennec prit la direction de l’hôpital Necker. Ses hautes et nouvelles fonctions l’amenèrent un jour de février 1816 à devoir ausculter une jeune patiente et il ne savait pas comment s’y prendre. Décidant de mettre de l’ordre dans ses esprits, il partit se promener dans le jardin des Tuileries. Lors de cette escapade, il observa deux jeunes enfants jouant autour d’une poutre en bois. Un des enfants s’amusa à taper sur une des extrémités de la poutre, alors que l’autre fut surpris d’entendre les tapotements de son compagnon à l’extrémité opposée. Revenant, à son cabinet, il reçoit sa jeune patiente. Devant sa jeune et généreuse poitrine il n’ose apposer son oreille sur son corps pour établir son diagnostic. Se remémorant sa promenade matinale, il prit alors un cahier qu’il roula et l’apposa sur sa poitrine. Il fut alors surpris par la netteté des bruits perçus et entendit distinctement les battements de son cœur. Véritable conducteur de sons. Une révélation ! Il fallait y penser, songe-t-il  !


              
En 1817, Laennec créait ainsi l'auscultation médiate** qu’il allait perfectionner en fabriquant le premier appareil d’auscultation qu’il nomma stéthoscope. L’auscultation médiate et le stéthoscope étaient nés.

          Il publia en 1819 "Traité d'auscultation médiate" et devint titulaire de la chaire de médecine pratique au Collège de France en 1822. Il mourut en 1826  de tuberculose, maladie dont le diagnostic avait largement bénéficié de l’auscultation médiate inventée et mise au point par lui.

* Image d’après la fresque de Théobald Chartran à la  Sorbonne  commémorant l'invention du stéthoscope en 1816                                 
** photo  prise à partir d’une peinture de Robert A. Thom, droits d'auteur en 1960

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