Henri Bellery-Desfontaines, La Contre-visite de
l'interne ou L'Auscultation
Le 11 juin 1804,
René Laennec était reçu docteur en médecine, après avoir soutenu avec le plus
grand éclat sa thèse inaugurale, sur la « Doctrine d'Hippocrate
appliquée à la médecine pratique. » Il n’est donc pas étonnant que
Laennec soit venu au secours d’Hippocrate, clinicien pur, en inventant un
instrument dont
l’utilisation paraclinique complétait et précisait les enseignements du maître
de Cos.
Le grand médecin de l’antiquité, Hippocrate avait des connaissances
telles qu’il utilisait le moindre symptôme ou signe pour appréhender
l’évolution et le pronostic d’une maladie. Ce n’est que le manque de moyens
d’investigations et seulement eux, qui ont alors retardé de plus de deux mille
ans l’essor de la médecine. En effet Laennec
ne fera que reprendre et condenser la pensée d’Hippocrate qui déjà
écrivait : « Explorer est une
grande partie de l’art. »
Ce besoin d’explorer lui avait donné
l’idée de l’auscultation thoracique lorsqu’il proposait, dans certaines
pleurésies (liquide dans la plèvre qui entoure le poumon) de recourir à la
manœuvre de « succussion
hippocratique » c’est à dire secouer le malade afin d’entendre les
bruits produits par l’interface air/liquide. Il était plus précis quand il
écrivait : « En portant
l’oreille contre le thorax et en écoutant attentivement on perçoit comme un
bruit de vinaigre. » Finalement les crépitations, les râles et les
frottements que décrira Laennec, deux siècles plus tard, ne seront que la
transposition à peine plus précise de ce que Hippocrate avait perçu et
mentionné dans une langue déjà imagée.
Jusqu'au début du 19ème siècle les médecins examinaient leurs
patients de façon directe, c'est à dire l'oreille collée au thorax afin
de percevoir les bruits internes. C'est ce que l'on appelait et appelle
toujours l'auscultation immédiate.
Or, s’agissant d’une femme, le médecin se heurtait à un obstacle, celui des
règles de pudeur déjà existantes, qui stipulaient de prendre le pouls
« sans toucher la patiente » et pire encore lorsqu’il devait poser sa joue à
même le sein pour écouter. Cet inconvénient prendra fin de manière tout à fait
inattendue grâce à une invention que l’on doit à Laennec.
René-Théophile-Hyacinthe Laennec était né en
1781 à Quimper. C’est son oncle Guillaume Laennec qui l’incita à suivre des études de médecine dès l’âge
de quatorze ans. Il réussit à se faire admettre comme chirurgien de 3ème
classe aux hôpitaux militaires de Nantes. Travailleur acharné, il obtint tous ses
diplômes. En 1801, il quitta sa Bretagne pour Paris. Toujours travailleur
acharné, il publia de nombreux articles scientifiques et devint le médecin de personnalités
(Chateaubriand, Madame de Duras, le cardinal Fesch,…), tout en recevant des
patients sans revenus. Praticien
célèbre, journaliste médical reconnu, son ascension fut vertigineuse.
Au fil de ses années de pratique, il avait noté que
l’air inspiré ou expiré produisait par suite de dérangements intérieurs
certains bruits dont les modifications variées avaient chacune leur
signification. Il mettait ainsi en avant une méthode permettant de
diagnostiquer avec une précision quasi mathématique un grand nombre de pathologie cardiaque et pulmonaire. Fallait-il encore entendre plus aisément
ces bruits afin de mieux les reconnaitre. Nous y voilà. En 1816, René Laennec prit
la direction de l’hôpital Necker. Ses hautes et nouvelles fonctions
l’amenèrent un jour de février 1816 à devoir ausculter une jeune patiente et il
ne savait pas comment s’y prendre. Décidant de mettre de l’ordre dans ses
esprits, il partit se promener dans le jardin des
Tuileries. Lors de cette escapade, il observa deux jeunes enfants jouant autour
d’une poutre en bois. Un des enfants s’amusa à taper sur une des extrémités de
la poutre, alors que l’autre fut surpris d’entendre les tapotements de son
compagnon à l’extrémité opposée. Revenant, à son cabinet, il reçoit sa jeune
patiente. Devant sa jeune et généreuse poitrine il n’ose apposer son oreille
sur son corps pour établir son diagnostic. Se remémorant sa promenade matinale, il
prit alors un cahier qu’il roula et l’apposa sur sa poitrine. Il fut alors
surpris par la netteté des bruits perçus et entendit distinctement les battements
de son cœur. Véritable conducteur de sons. Une révélation ! Il fallait y
penser, songe-t-il !
Il publia
en 1819 "Traité d'auscultation médiate"
et devint titulaire de la chaire de médecine pratique au Collège de France en
1822. Il mourut en 1826 de tuberculose,
maladie dont le diagnostic avait largement bénéficié de l’auscultation médiate
inventée et mise au point par lui.
* Image d’après la fresque de Théobald Chartran
à la Sorbonne commémorant l'invention du stéthoscope en
1816
** photo prise à partir
d’une peinture de Robert A. Thom, droits d'auteur en 1960
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