Tout au
long de sa vie, la santé de Gauguin a été affectée par diverses maladies dont
l’une au moins l’aura emporté directement ou indirectement. De toutes les
maladies qui ont affecté Paul Gauguin, la syphilis est celle, à côté de la drogue et de l’alcool qui aura
causé le plus de ravages.
*Le parcours de la littérature concernant
Paul Gauguin, nous apprend dans un premier temps qu’il était malade. En 1886 après un séjour à Paris,
il s'embarquait pour la Martinique. André Salmon nous dit :
« A
Paris, Gauguin se lie avec Van Gogh ; peu après il s'embarque pour la
Martinique d'où il revient assez vite malade »
Maurice
Serullaz écrivait la même chose mais à une date beaucoup plus tardive témoignant
ainsi de la pérennisation de la maladie :
« Malade,
Gauguin rejoint la France en 1893. … Il garde cependant la nostalgie de
Tahiti et y repart en juillet 1895. De nouveau malade, misérable et
solitaire le désespoir l'envahit si bien qu'en 1898 il tente de se suicider »
*La
maladie dont était affecté Gauguin, n’était, contrairement au cas de Manet, un
secret pour personne. La syphilis
est plusieurs fois citée dans des écrits contemporains ou non :
« Gauguin débarque à Papeete en juillet. Seul comme jamais, à
bout de forces et souffrant cruellement des séquelles de la syphilis »
« Au long des huit années qui suivirent son arrivée à Tahiti
(septembre 1895), il fut sans cesse torturé par la syphilis
« ….Son état de santé s'aggrave, et la syphilis
contractée avant son départ en France empire son état général. Il entre à
l'hôpital où il reste de juillet à août »
Lors de son premier séjour à Tahiti il n’avait pas trouvé le côté sauvage qu’il
recherchait. En lieu et place il trouvait la colonisation française qui s’était
substituée dans tous les domaines de la vie locale. Il regrettait très vite son
voyage d’autant que :
« … cette
île dont Gauguin se lasse déjà et où sa santé minée par la syphilis et
la blennorragie pour lesquelles
il demande des remèdes à Monfreid continue à se détériorer… quelques mois plus
tard il est revenu à l'hôpital… »
« … Mais en dépit d'un travail aussi
acharné qu'enthousiaste, la maladie, vraisemblablement
la syphilis et l'épuisement des ressources financières, contraignent
Gauguin à rentrer en France. Il est à Marseille le 4 août 1893 »
*Toute maladie sexuellement transmissible
(MST) impose la recherche de l’origine de la contamination. Concernant Gauguin la
chose n’était pas facile car les
possibilités étaient nombreuses. Il fallait néanmoins tenter d’identifier l’origine
de la première contamination. Cette démarche facile chez celui dont la
vie reste peu éloignée de la normale, est beaucoup plus aléatoire chez un
sujet réputé à risques comme Paul
Gauguin:
«
Sa vie devient dangereusement hasardeuse sous l'angle de la sagesse
commune. »
Elle le restera après
plusieurs années lorsqu’étant à Tahiti, il avait toutes les jeunes filles qu’il voulait.
« Le bébé est superbe, comme tout ce qui est adultère. Et je
dois dire que les enfants ne m'importunent pas car je les abandonne purement et
simplement. Ah ! Oui, je suis un sauteur de première classe qui a
abandonné femmes et enfants. Le moment venu nul doute que j'abandonne celui-ci. »
Mahana no atua 1894
« Sa
grande passion c'était l'amour » disaient ceux qu’il fréquentait régulièrement.
Gauguin avait fréquenté des lieux de contamination variés ce qui s’accorde bien avec une première contamination et les réinfections ultérieures :
« J'étais à cette époque tout petit et j'avais malgré mes 17
ans et demi l'air d'en avoir 15. Malgré cela j'avais fauté une première
fois au Havre avant de m'embarquer »
François Brigneau relate la dernière nuit parisienne de Gauguin, avant le
nouveau départ de Gauguin pour son deuxième séjour à Tahiti en avril
1895 :
« Après une fête bien arrosée, ne pouvant se résoudre à
dormir, il déambule dehors boulevard Montparnasse.
Une fille l'accoste. Il la suit. Fâcheux adieu à l'Europe. La fille était
syphilitique. »
« Le 18 février 1895. Faute d'argent malgré la vente de l'hôtel
Drouot, il décide de reculer son voyage et écrit à Monfreid qu'il a attrapé
"une triste infirmité …»
Hiver rue Carcel 1883
Hiver rue Carcel 1883
S’il est certain que Gauguin s’était contaminé en France (le Havre ou
Paris) il est non moins certain que l’infestation a été entretenue sinon
aggravée par sa vie sexuelle à Tahiti.
«
Malgré les plaies de ses jambes, son cœur
qui bat la chamade, sa vue qui baisse, il y a toujours des gamines endiablées dans la Maison
du Jouir. »
*Afin de mieux appréhender le tableau
clinique de la maladie syphilitique de Gauguin, schématisons celui de la syphilis.
Elle évolue en trois phases :
primaire correspondant à
l’inoculation : essentiellement un chancre associé à l’inflammation d’un
ganglion.
secondaire correspondant
à l’invasion : essentiellement des manifestations cutanéo-muqueuses qui
apparaissent un mois à un an après le début
tertiaire : correspondant à
l’éclosion d’atteintes viscérales. Les deux plus importantes localisations sont
cardiaques (lésion de la valve aortique et anévrysme de l’aorte dans sa
position thoracique) neurologiques centrales ou médullaires.
(1)
On comprendra que la phase d’inoculation soit
passée inaperçue ignorée de Gauguin
lui-même ou perdue au sein des nombreuses autres possibilités de contaminations.
(2) La phase
secondaire oriente vers la recherche de lésions cutanéo-muqueuses. Or
Gauguin avait un eczéma suintant et chronique.
Celui-ci pouvait-il être rattaché à la syphilis ?
« Au
long des huit années qui suivirent son arrivée à Tahiti (septembre 1895), il
fut sans cesse torturé par l’eczéma »
« … effrayée
par l'eczéma dont souffre
Gauguin, elle retourne sans tarder chez son mari »
« Le
"sauvage" est dévoré par l'eczéma.
La maladie l'immobilise. L'eczéma
gagne. Il a les jambes pleines de varices qui crèvent. Pas de pansements bien
sûr et nul antiseptique… Alors que nous sommes à moins de six mois de sa
mort des chevilles aux cuisses ses
jambes ne sont qu'une plaie affreuse à voir... ses genoux enflent, ses
paupières sont craquelées de croûtes et de pus. »
« Son
état de santé s'aggrave. Il souffre d'une infection à l'œil, des suites de sa
fracture de la cheville, d'eczéma et de la Syphilis. Celle ci
provoque des "éruptions" que colons et indigènes interprètent comme
une forme de Lèpre »
Notons que
si la Lèpre avait été évoquée, il n’avait jamais été question de lésions
cutanées qui puissent être rapportées à la phase secondaire de la syphilis.
Certes il s’agit d’une maladie qui porte bien le nom de « grande simulatrice » mais le
caractère suintant et douloureux des lésions de Gauguin sont plus en faveur de l’eczéma que d’une syphilis cutanéo-muqueuse.
(3)
La phase tertiaire est celle des lésions
viscérales : soit encéphaliques (Maupassant) soit médullaires (Manet) ou
cardiaques. Rien dans nos lectures ne nous oriente vers une syphilis nerveuse.
A l’inverse on peut retenir la notion d’une atteinte cardiaque.
« Lors
de ces crises qui le jettent à terre : il étouffe, s'évanouit, se
réveille. ... des
crises cardiaques le terrassent. »
« Début
décembre 1897 il se retrouve encore à l'hôpital après un incident cardiaque. »
« Le
10-12 octobre 1897 victime de troubles
cardiaques il écrit à Morice qu'il mourra probablement avant d'avoir
vu Noa Noa. »
Si Gauguin était cardiaque de quelle nature était
sa maladie cardiaque ?
« A
Victor Segalen qui lui avait annoncé la disparition de son ami Paul Gauguin,
Monfreid répondit rapidement en demandant des détails sur les derniers temps de
la vie de son protégé et sur les circonstances exactes de la mort subite, dont il se préoccupait de savoir
si elle avait bien été naturelle et non hâtée par des personnes malveillantes.
Segalen devait confirmer que Gauguin avait succombé à une rupture
d'anévrisme. »
L’affirmation
selon laquelle Gauguin serait mort d’une rupture d’anévrysme est
intéressante car elle rappelle les circonstances du décès de son père Guillaume,
mort en 1851 d’une rupture d’anévrysme aortique lors de son voyage vers Lima où
il partait avec sa famille. Sans preuve formelle, qui ne peut être qu’anatomopathologique,
cet anévrysme compte tenu de l’âge de Gauguin au moment de sa mort et compte
tenu de l’évolution de sa maladie syphilitique, ne peut logiquement être rapporté
qu'à la syphilis et non à une origine athéromateuse. Toutefois on ne peut
formellement exclure une anomalie congénitale de l’aorte qu’avait eue également
son père.
*L’observation de la syphilis de Paul
Gauguin a pu être reconstruite à partir des textes le concernant. La maladie,
une fois de plus n’a pas trop influé sur son œuvre. Mais que de courage pour continuer de peindre dans
les mauvaises conditions de santé qui étaient les siennes. De ce que l’on sait,
seul l’eczéma aurait été un frein temporaire à son travail de peintre :
« En
janvier 1897 il est à nouveau
hospitalisé à Papeete…. Aux mois de mai et juin il travaille à la construction
de son atelier. Une nouvelle poussée d'eczéma l'empêche de peindre. »
L’absinthe
qu’il buvait quotidiennement depuis son apprentissage avec Vincent van Gogh,
lui aura sûrement permis de tenir le cap.
La Maison du jouir.
Bibliographie
1. BARIETY Maurice, COURY Charles -
Histoire de la médecine ; les grandes études historiques - Librairie Arthème
Fayard - 1963
2. BRIGNEAU François in : Le Roman Vrai
de la IIIè et de la IVè République - Première partie 1870 - 1918 - Bouquins,
Robert Laffont, 1991.
3. CACHIN Françoise - L'Art du XIXè siècle (1850-1905) - Editions
Citadelles.
4. DANIELSON - 1975, p 198.
5. DENVIR Bernard - Chronique de
l'Impressionnisme ; histoire d'un mouvement jour après jour - Editions de la
Martinière, Paris 1993.
6. Dictionnaire de la Peinture française
- Librairie Larousse -
7. Dictionnaire Universel de la
Peinture, Le Robert, Tome 3 - p 46, 1975
8. Editions Atlas multimédia 1977 - Les génies de la peinture - Gauguin
9. Encyclopédie de l'Impressionnisme -
Maurice Serullaz - p. 97.
10. Fondation Pierre Gianalda.
11. GAUGUIN Paul - Lettre à Alfred
Valette Directeur du Mercure de France
12. GAUGUIN Paul Lettre à André Fontainas
p 8 Le Classique de l'Art - Flammarion 1981
13. GAUGUIN Paul - Lettre à Charles
Morice
14. GAUGUIN Paul - Lettre à Charles
Morice 10-12 octobre 1897
15. GAUGUIN Paul - Lettre à Daniel
Monfreid.
16. GAUGUIN Paul - Lettre à Mette du
26/12/1886.
Bonjour
RépondreSupprimerC'est très intéressante votre analyse! L'aspect géométrique et les contrastes des couleurs des tableaux de Gauguin indiquent:
1 il souffrait de la maladie du foie et du pancréas, il ne distinguait plus les couleurs à cause de la jaunisse.
2 il souffrait des troubles de visions causées par le concours de la syphilis l'insuffisance hépatique.
www.giljadid.skyrock.com
http://www.senequebougrine.wix.com/autoclavesolutions
C'est un peu triste qu'il ait transmit la syphilis à de nombreuse jeunes filles tahitiennes.
RépondreSupprimerCher Docteur, bravo et merci pour vos articles sur votre excellent blog. Avez-vous déjà songé à la mort d'Arthur Rimbaud survenue faute à la complication d'une douleur au genoux. Le poète était syphilitique comme Gauguin et malgré qu'il ne subsiste aucun document sur le sujet (sa soeur Isabelle av
RépondreSupprimeravait détruit tout ce qui pouvait atteindre à la moralité de son cher frère qu'elle présentait comme un ange) on se pose la question si Rimbaud n'a pas été victime de la syphilis lui aussi.
RépondreSupprimerMerci cher confrère pour votre travail bien utile (du nouveau depuis cette rédaction ?) confer deux textes : https://librecritique.fr/avis-museumtv-gauguin-deraison-du-jouir-primitivisme-a-sens-unique-les-plus-grands-peintres-8-10/ et https://medito.librecritique.fr/index.php/2024/02/12/maladies-gauguin-pervers-pedophile-syphilis-depression-suicides-drogue-alcool-jambe-malade-rupture-danevrysme/
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