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28 septembre 2012

La Cataracte opérée de Monet

        
Nous savons que Claude Monet avait une cataracte intéressant successivement dans le temps les deux yeux. Il s’était adapté à sa maladie oculaire et il pouvait poursuivre sa peinture en se fiant à sa mémoire et à une vision de près résiduelle. Les choses auraient pu être différentes s’il avait accepté l’opération d’emblée.
   Revenons sur l’histoire de la cataracte de Monet       

          En 1912, on découvre fortuitement une cataracte  de son œil droit.
«  Il  y a trois jours, j’ai constaté avec terreur que je ne voyais plus rien de l’œil droit. J’ai tout planté là pour aller vite me faire examiner par un spécialiste qui m’a déclaré que j’avais la cataracte  et que l’autre œil était légèrement atteint aussi. »

   Inquiet pour sa peinture, il consulta plusieurs ophtalmologistes dont les docteurs Polack, et Liebreich spécialistes des peintres. Ce dernier lui prescrivit des verres de myope pour son œil gauche (la myopie avait été dépistée trois ans plus tôt). Lors de ces consultations il obtint des avis contradictoires à propos de l’intervention, ce qui ne l’encourageait pas à se faire opérer et cela malgré les sollicitations de son ami Georges Clemenceau. Il faut dire qu’il était au courant de la cécité postopératoire du peintre Honoré Daumier et des ennuis similaires qu’avait connus Mary Cassatt. Par ailleurs il se rendit compte qu’il voyait avec son œil gauche et qu’il pouvait continuer de travailler. Pour toutes ces raisons, il allait sursoir à l’intervention.
          Pendant près de dix ans l’acuité visuelle de l’œil Gauche allait être l’élément essentiel de sa vision. En 1922 survint une brusque diminution de l’acuité visuelle de cet œil  et tout s’écroulait. Il était dans la quasi obligation de s’arrêter de peindre et d’accepter l’intervention. Son ami Clemenceau le décidera  à se faire opérer par le Docteur Coutela. Lors d’un examen le 7 septembre 1922 la vision était quasi nulle à droite et de 1/10ème à gauche. Contre toute attente il allait faire opérer son œil droit malade depuis dix ans.

L'intervention   eut lieu en janvier 1923 à la clinique de Neuilly. Coutela décrit l'opération:
J'ai procédé à droite à l'extraction de la cataracte (extra capsulaire) avec aspiration des masses aussi complète que possible. Le soir même la chambre antérieure était reformée : ce fut pour moi un grand soulagement.
L’intervention, comme il était coutume à l’époque avec le protocole inauguré par Jacques Davier (1693-1762), s’était déroulée en deux temps. Monet bénéficia en janvier 1923 d’une iridectomie préparatoire suivie de l’extraction extra capsulaire du cristallin et en juillet de la même année de l’extraction de la membrane. Grâce au port de lunettes spéciales, Monet recouvrait l'usage de l'œil  droit. Le chirurgien prescrivit un verre correcteur teinté en vert pour rectifier la vision des couleurs. Malheureusement Monet devait subir les diverses complications de ce type d’intervention (aphakie): photophobie, perturbation de la vision des couleurs,  vision double, et  distorsion des images visuelles (forme et espace). Ce sont peut être ces ennuis secondaires à l’intervention qui lui feront  refuser celle du deuxième œil, le gauche.

Les suites de l'intervention furent assez pénibles pour le peintre qui avait mal supporté de passer 10 jours avec un pansement sur l'œil. Les verres correcteurs ne furent prescrits qu'une vingtaine de jours après. Coutela écrivit à Clemenceau :
«  La vision de près peut être considérée comme à peu près parfaite après correction. Pour la vision de loin, le résultat est moins extraordinaire : Monsieur Monet a 3 à 4/10ème, ce qui n'est pas mauvais... mais il lui faudra un certain entraînement, car pour la vision de loin, il sera plus ou moins gêné. Bref je suis très satisfait, d'autant que les péripéties ont été nombreuses. »

« … la vision est suffisante pour la lecture de la palette à la distance habituelle, suffisante aussi pour la vision parfaite des touches à la distance à laquelle il se met habituellement. »

De son côté, Monet n’était pas aussi satisfait que le Docteur Coutela. Il était même déçu et perturbé par la correction optique de la vision de son côté droit. Il allait en conséquence tout faire pour améliorer la vision de l’autre œil  encore voyant qu’il utilisait par intermittence pour peindre ou pour lire. Et notamment il utilisait un collyre pour dilater la pupille et améliorer la vision de l’œil gauche. Monet était surtout perturbé par  une vision en bleu :
Je vois bleu, je ne vois plus le rouge, je ne vois plus le jaune ; ça m'embête terriblement parce que je sais que ces couleurs existent; parce que je sais que sur ma palette il y a du rouge, du jaune, il y a un vert spécial, il y a un certain violet ; je ne les vois plus comme je les voyais dans le temps, et pourtant je me rappelle très bien les couleurs que ça donnait.

Il faudra attendre le mois de juillet 1925 pour que l’adaptation de Monet à son aphakie soit complète et lui permette de voir les couleurs réellement présentes.

          Pour étudier les conséquences de l’intervention sur la peinture de Claude Monet, il est nécessaire de faire cette étude sur deux périodes. Une première où il vivait les conséquences de l’intervention et une seconde où il dit lui même avoir retrouvé la vision des couleurs. Et pour se faire on dispose de :

Œil gauche celui de la cataracte évoluée, non opérée, qui va servir de référence pour la vision préopératoire
Œil droit malvoyant depuis le début  celui qu’il a fait opérer, qui va servir de référence pour la vision postopératoire

Comparons deux toiles du même sujet « le Jardin aux roses » de Monet :
    

                                       


          Fig.1 œil avec la cataracte                Fig.2 oeil opéré                              
              73% couleurs chaudes                      84% couleurs froides        
       
Fig. 1 la toile a été peinte avec l’œil gauche et l’on y retrouve la prédominance des couleurs chaudes (73%) conformément à ce que nous avions déjà signalé pour la vision des couleurs dans la cataracte.

Fig. 2 la toile a été peinte avec l’œil droit au décours immédiat de l’intervention et cette fois dominent les couleurs froides (84%). Monet lui-même exprime son désarroi  car il sait que les couleurs rouge et jaune il les a sur sa palette mais il ne les voit plus. Pour lui tout est bleu et cela est normal puisque au début de l’aphakie il y a une cyanopsie ou vision des choses en bleu.

          Pour préciser un éventuel retour à la normale de la vision colorée de Monet après l’intervention, comparons deux toiles l’une postopératoire précoce (fig.3-1923) l’autre postopératoire tardive (fig.4-1925) pouvant permettre de juger de la disparition ou non de l’aphakie et d’un retour à une vision presque normale.


                                    



              (fig.3 - 1923)                                           (fig.4 - 1925)

      Œil droit  post opératoire                            Œil  droit post opératoire

                  précoce                                                     tardif

  Maison vue du jardin aux roses                                    Maison de Giverny 


Dans la « Maison vue du jardin aux roses » 1923 postopératoire précoce les stigmates de l’aphakie et d’une cyanopsie sont présents. A l’inverse dans la « Maison de Giverny » 1925 postopératoire tardive la gamme des couleurs tend à redevenir normale avec la réapparition de couleurs chaudes comme les rouges, momentanément disparues à cause de l'aphakie. Monet en 1925 affirmait que sa vision des couleurs était revenue. Il pouvait donc enfin découvrir les vraies couleurs de ses panneaux, qu’il avait longtemps peints sans pouvoir en discerner la teinte exacte.

De nos jours on aurait sauvé la vue de Monet. L'opération est devenue simple : on extrait la cataracte hors de l’œil. Monet aurait pu voir parfaitement le jour même. Mais alors, il n'aurait jamais peint ses derniers chefs-d'œuvre de Giverny. Il n’aurait pas ouvert la voie à l’abstraction en peinture que caractérisent des couleurs qui se fondent les unes dans les autres, un manque de forme rationnelle et de perspective comme dans 'la Maison vue du jardin aux roses, 1922-1924.      
                                                                                           La Maison vue du jardin
                                                                                                                                                                aux roses
Monet mourra le 5 décembre 1926 des suites d’un cancer du poumon.


                                            Ouvrages consultés


CACHIN F. -  L'Art du XIXè siècle (1850-1905) - Editions Citadelles.

DENVIR B. - Chronique de l'Impressionnisme ; histoire d'un mouvement jour après jour -   Editions  de la Martinière, Paris 1993.

ENCYCLOPEDIE de l'Impressionnisme - Maurice Serullaz -

GEFFROY G. Monet sa vie, son œuvre – éditions Macula 1980

HEINRICH Christoph – Claude Monet – 2001 Taschen

LANTHONY  P., des yeux pour peindre – RMN

LANTHONY  P. les yeux des peintres – L’Age d’Homme 1999

MONNERET  S. L’impressionnisme et son époque – Dictionnaire international – Robert Laffont 1980

MUSEE MARMOTTAN - Hazan., Monet l’œil impressionniste – collectif 2008

REWALD  J. Histoire de l’impressionnisme  - Albin Michel 1986     

WALTHER Ingo F. – L’impressionnisme - Benedikt Taschen 1992


10 commentaires:

  1. iI faut vite aller voir "la colère du tigre" .Il s'agit de l'amitié tumultueuse de Monet et Clemenceau et cette cataracte qui les brouilla un temps;un régal

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  2. Merci beaucoup pour ces informations, cela nous a bien aidé pour notre travail en AP art et sciences sur Monet! love x

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  3. Bonjour Monsieur :) Je suis étudiante en école d'Art-thérapie à Tours. Je site votre article dans mon mémoire parlant du l'impact de l'art-thérapie sur le sentiment d'isolement des personnes âgées. Je vous remercie pour cet article intéressant.

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  4. Quand on a dit que Gauguin était syphilitique, que Monet était atteint de la cataracte ou que Van Gogh était alcoolique, on n’a rien dit. Simplement par le fait que vous avez des millions de syphilitiques, de gens qui ne voient que d’un œil et d’alcooliques et que vous n’avez qu’un Gauguin, qu’un Monet et qu’un Van Gogh. Prendre les peintres par leur côté « trop humain » n’apporte rien, sinon de l’anecdote. Et l’Art n’a que faire de l’anecdote. Jean-Michel René SOUCHE

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    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    2. Ineffable génie? Vous avez tort, Monsieur Souche, de prendre de haut cette excellente page avec vos formules simplistes visant à réduire l’art à une sorte de magie ineffable et incompréhensible qui surgit comme par magie de l’esprit et des mains de quelques individus de génie... autant de vieux clichés d’esthète dénué d’idées et du désir d’en acquérir de bonnes. En réalité les recherches et les explications fournies ici par ce médecin bien informé, authentique savant et réel connaisseur d’art, valent mille fois mieux que les âneries inlassablement répétées par les simples d'esprit sur Claude Monet « évoluant vers l’abstraction » alors qu’en fait le pauvre jardinier de Giverny évoluait tout bonnement, à partir de 1908, vers la cécité, ce qu’il a reconnu lui-même. Cela ne vous intéresse peut-être pas, vous, mais je vous garantie que cela intéresse beaucoup les personnes qui, comme moi, se sont retrouvés, vers le même age que Monet, devant un diagnostic comme celui qu’il a reçu en 1908 puis en 1912 : cécité légale dans l’oeil droit (lumière seulement), acuité visuelle réduite à 10% dans l’oeil gauche. Dans ces conditions et devant les toiles de Monet je trouve que le VRAI miracle était qu’il a persévéré, contre la terreur et contre la rage de perdre complètement la vue, et qu’il a continué de travailler, et de faire ce qu’il a fait. Voilà, Monsieur, à quoi sert une page comme celle-ci, qui nous aide à comprendre que le génie n’est pas simplement donné, comme par magie ou comme par grâce, à quelques individus d’exception, mais qu’en plus que l’aptitude et le talent, le génie se développe et se consolide par le travail, la discipline, la force de l’âme.
      « Quand un chanteur a perdu sa voix, il se retire. Le peintre opéré de la cataracte doit renoncer à peindre : et c'est ce que je n'ai pas su faire », disait Claude Monet en mars 1925. Et c'est fort heureusement qu'il n'a pas su renoncer, car peu après (fin juillet 1925) Claude Monet avait recouvré à peu près complètement ce qu’il appelait sa « vision de peintre »...

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  5. Bonjour,
    Je donne des cours d'histoire de l'art et de l'esthétique à l'université de Barcelone. Je trouve cet article fantastique; il me donne des idées pour entamer des reflexions à propos de si l'art est subjectif, objectif, sur le realisme et sur le regard que l'artiste porte sur la realité. Merci!

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  6. Merci beaucoup pour cet article instructif et bien structuré, cela m'a grandement aidé pour mon TPE !

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