Les
peintres de l’absinthe
Le Buveur d'absinthe 1859
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Dans le
Buveur d’absinthe d’Edouard Manet il
n’y a rien qui puisse être rapporté à l’absinthisme. Sa toile traite un sujet contemporain
devenu à la mode, celui de la consommation de l’absinthe à tous les niveaux de
la société. Connaissant Manet on comprend que son intention était toute autre.
Il cherchait à provoquer l’Académie et Thomas Couture avec un sujet non
académique et non conforme à l’usage du portrait académique en pied. Les méfaits
de la liqueur d’absinthe n’étaient donc pas au centre de ses préoccupations. La
toile allait logiquement être refusée au salon officiel de 1859.
Manet était attaché à l’image des portraits en pied de
Velasquez, c’est donc le genre qu’il adopte pour son buveur d’absinthe. Le
modèle était un certain Collardet, chiffonnier non loin du Louvre. Le verre sur
le muret et la bouteille d’absinthe qui roule à terre sont les témoins
essentiels de la toile.
Il en est tout autrement pour Edgar Degas. Certes lui aussi avait l’intention de peindre un thème
moderne. Mais on peut lire dans le traitement du sujet tout autre chose. En
effet dans sa toile intitulée initialement « Dans le café » 1876
l'essentiel n'était pas tant le sujet traité, que l'esprit, l'invention
et l'habileté déployés pour concevoir et mettre en valeur ce couple
d’alcoolique venu tout droit du monde de la bohème.
« L’absinthe » titre donné
secondairement (1893), est la plus célèbre représentation de café de Degas. Deux
amis, le graveur sur cuivre Marcellin
Desboutin et l’actrice Ellen Andrée
posent dans le café de la Nouvelle Athènes pour le portrait d’un couple
d’amoureux en crise.
La femme
est avachie, les bras ballants, le regard perdu dans ses pensées, qui sont loin de
concerner son voisin. Le verre d’absinthe est là, elle n’y a pas encore touché.
L’homme le coude posé sur la table se contente de regarder ailleurs.
C’est la femme qui va boire l’absinthe et non l’homme.
Dans un café ou l'Absinthe 1876
Une vue
plongeante, une pose excentrée du couple, la disposition particulière des
tables, donnent nettement l’impression d’une indépendance de relation
dans ce couple. Bien qu’ils soient assis l’un à côté de l’autre on imagine la
distance qui les sépare. Elle est autant physique que mentale et matérialisée
par la position d’Ellen Andrée dont le corps est déjeté sur la droite de la
table sans pied.
Cette
toile exprime au plus haut point ce que disait Degas quand il expliquait vouloir « …..
Portraiturer des personnages dans leur attitude habituelle typique,
surtout choisir pour leurs mines la même expression que pour leur corps » Ici,
la tristesse des visages s’accorde avec
l’attitude négligée du corps et les vêtements délabrés. Les reflets sombres derrière
eux sont là comme l’expression de l’aliénation, ils intensifient l’isolement
des deux personnages.
Il a
été souvent dit que Degas s’était inspiré de « l’Assommoir » de Zola pour sa toile. Or dans ce roman sorti un
an après l’apparition de la toile il est plus question d’eau de vie que
d’absinthe. Degas, avait sans doute trouvé son inspiration dans le livre des
frères Goncourt « Germinie Lacerteux » paru en 1864 et dans lequel il
est question de la déchéance d’une jeune gouvernante à cause de son goût,
trop prononcé pour l’absinthe.
S’il fallait démontrer que l’absinthe était un vrai
phénomène de société les toiles de Manet et plus encore celle de Degas sont
bien là pour en apporter la preuve.
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