Pour
les femmes qui voulaient se destiner à la peinture avant le XIXe siècle et à
qui l’on déniait le droit d’étudier le corps humain en atelier de peinture, l’autoportrait
était, avec les Nature mortes, leur unique recours. S’utiliser comme modèle
était en effet une solution appropriée face aux nombreux interdits auxquels les
femmes devaient faire face. Mais pour Frida Kahlo le choix de l’autoportrait
avait une autre origine. Suite à un accident qui l’avait clouée au lit elle
prit la décision de devenir peintre.
Contrainte et forcée de se peindre elle-même, l’autoportrait fut alors
pour elle à la fois une nécessité et une obligation.
En septembre 1925 Frida Kahlo passait un mois à l’hôpital. Sa survie relevait d’un miracle après le
grave accident qu’elle venait de subir. Sa convalescence lui permettait de développer
et de s’adonner sérieusement et en toute liberté à la peinture. Selon ses
propres mots, elle décidait alors de peindre les choses telles qu'elle pouvait
les voir « … pintado las cosas tal y como yo las veia. ». Son
père Don Guillermo l'avait initiée à la peinture. Lui-même était peintre et surtout
photographe, spécialiste des vues de son quartier de Coyoacán à Mexico.
Avant le terrible accident elle avait fait quelques portraits et des Natures
mortes. Pendant sa convalescence c’est sur elle-même qu'elle allait focaliser
son travail en réalisant un grand nombre d'autoportraits.
Pour l'aider, ses proches avaient placé dans
son lit à baldaquin et au-dessus d’elle un miroir pour ciel. Elle pouvait alors
se servir de son reflet comme modèle, ce qui fut probablement l'élément
déclencheur de la longue série d'autoportraits qu'elle devait réaliser. Sur 143
tableaux, 55 étaient en effet des autoportraits. Frida Kahlo allait devenir la
plus célèbre peintre d’autoportraits de l’histoire de l’art. Elle trouvait son
inspiration dans sa propre image celle du miroir devenu l’unique compagnon de
ses journées solitaires d’alitée, auxquelles la condamnaient les séquelles de
son traumatisme. Ces autoportraits allaient illustrer ses sentiments et ses
états d’âme en même temps qu’elle jouait de symboles pour décrire ses
souffrances physiques et morales.
Autoportrait
aux épines 1940 (un exemple parmi tant d’autres)
Dans cet autoportrait la vue du
collier d’épines, qui la font saigner, évoque la souffrance physique
qu’elle endure depuis des années, mais aussi la souffrance morale que
suggère l’enroulement, durable, des épines autour de son cou. Sa vie avait
basculé, parsemée de douleurs consécutives au traumatisme subi lors de
l’accident de bus dont elle gardait un souvenir persistant dans sa chair et
dans son esprit. Et comme un malheur ne va jamais seul, elle devait souffrir
autant sinon plus, du divorce consenti avec son mari Diego Rivera après qu’il
l’ait trompé avec sa propre sœur Christina.
Il
y a dans le regard qui fixe le spectateur beaucoup de fierté. Elle avale ses
larmes de douleurs, et on sent le désespoir teinté de souffrance morale. Coûte
que coûte il lui fallait paraître digne. Un hale ethnique cache une pâleur, qui
ne paraît pas derrière cette volonté de se montrer mexicaine. Frida est en plein
« mexicanismo »
(affirmation de son identité mexicaine) : nature luxuriante avec une jolie
palette de verts, robe et bijou indiens, singe qui appartient à la faune et à
la tradition mexicaine, cheveux tressés comme chez les ancêtres. Cette femme se
veut libre et indépendante du monde qui l’entoure mais dont elle est
malheureusement dépendante par son handicap physique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire