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21 octobre 2013

Merci Docteur Juan Farill



Ce n'était pas la première fois que Frida Kahlo manifestait sa gratitude pour le médecin qui l'avait soignée. Elle l'avait déjà fait pour son ami le Docteur Eloesser dont elle avait réalisé un portrait dans lequel ne se dégageaient aucune émotion ni sentiment de reconnaissance. Pour lui à nouveau elle réalisa l'Autoporttrait au Dr Eloesser (article 27) qui, à l'opposé, témoignait tant par sa présence, qu’elle voulait radieuse, que par l’inscription au bas du tableau, son amitié et ses remerciements pour celui qui lui avait sauvé la vie.
Il est une autre dédicace considérée comme un ex-voto que Frida adressa  les dernières années de sa vie au Docteur Juan Karill. Un autoportrait de toute importance, car ce fut le tout dernier qu'elle ait signé. De même son nom figure sur son tout dernier tableau : une nature morte Vive la vie.

                      
Vive la vie 1954-55
Après la douloureuse période consécutive à l’arthrodèse de la colonne vertébrale, elle devait une fois de plus souffrir le calvaire à cause de douleurs atroces de la jambe droite. Celles-ci étaient occasionnées par une gangrène de la jambe. En janvier 1950 elle devait être hospitalisée à l’American British Cowdray Hospital de Mexico où une noria de médecins donnait tour à tour leur avis sur son cas. Il lui était proposé de traiter son problème de dos et en même temps d’essayer de rétablir la circulation au niveau de son pied. Parmi tous les médecins, l’un d’eux le Dr Farill envisageait une solution radicale : l’amputation du pied au niveau de la cheville. Mais, les avis divergeaient pour le niveau d’amputation. Frida Kahlo était prête à accepter de nouveaux sacrifices mais à condition qu’elle puisse remarcher et retravailler. Un autre médecin, hostile à l’amputation proposait des injections de gaz sous cutanées, comme cela se fait à Royat. Pendant toutes ces tergiversations médicales, Frida organisait sa vie à l’hôpital, recevait et décorait sa chambre.
 

Elle  devait subir sept opérations, soutenue moralement par sa sœur Cristina qui la coiffait et la maquillait entre chaque opération. Des amis étaient autorisés à venir la voir. De temps en temps le personnel lui confisquait son matériel de peinture, alors elle dessinait sur son plâtre ou son corset avec ce qu’elle avait sous la main : tube de rouge à lèvres, bleu de méthylène, de l’iode etc. Quand on lui restituait son matériel, elle se remettait à peindre, jusqu’à cinq heures par jour, couchée sur le dos, utilisant son chevalet spécial.
Sortie de l’hôpital elle revenait à Coyoacán où elle se déplaçait dorénavant en fauteuil roulant. A peine rentrée chez elle, elle se remettait à peindre et commençait par l’Autoportrait au Dr Farill  qu’elle comptait lui offrir en redevance des soins qu’il lui avait prodigués.


                                 


Autoportrait avec le Dr Farill 1951


Dans  cet autoportrait Frida Kahlo est dans un fauteuil roulant devant le portrait de son médecin placé sur un chevalet. Il ne s’agit pas comme on pourrait le penser "d’un Portrait dans le Portrait", mais d’une mise en scène pour l’offrande qu’elle proposait à celui qu’elle considérait comme son sauveur. Le Docteur Farill était intervenu pour calmer ses douleurs intenses et plus encore pour la sortir d’une profonde dépression. La position du portrait du Docteur Farill sur le chevalet lui donne la place du saint que l’on remercie dans les ex-voto, l’autoportrait de Frida prenant alors la place de la victime sauvée. Tout l’être malade et souffrant de Frida est ici résumé : munie de pinceaux qui suggèrent des instruments chirurgicaux elle peint avec son sang et se sert de son cœur comme d’une palette.
Il n'était pas nouveau, dans l'histoire de l'art, qu'un peintre malade dédie une toile à son médecin. L'exemple de Frida s'ajoute à d'autres. Avant elle il y avait eu Francisco Goya avec Goya Assisté par le Dr Arrieta  et après elle Vincent van Gogh Portrait du Dr Gachet.







La Nuit étoilée d’un peintre astronome.

                        Van Gogh astronome      



Arles, place du Forum
la terrasse du café la nuit
1888
          Van Gogh  était  un passionné  d’astronomie et d’astrologie. Les ciels qu’il peignait avaient souvent une ambiance astronomique. Par ailleurs son penchant naturel pour la lecture (van Gogh avait une culture littéraire), se manifestait entre autres pour des ouvrages d’astronomie. Il était l’ami de Camille Flammarion qui venait de faire éditer la première « Encyclopédie d’astronomie ». De là à penser qu’il peignait de vrais ciels, il n’y avait qu’un pas. On en a la certitude depuis qu’un historien d’art l’américain Albert Boime, a montré que les tableaux célestes de van Gogh étaient réels. Pour cet auteur et contrairement à la légende, les ciels de van Gogh n’étaient ceux d’un fou mais tout simplement ceux d’un peintre réaliste.


La Nuit étoilée, 19 juin 1888

          L’étude des tables astronomiques qui précisent quotidiennement (depuis des centaines d’années) la situation et la place respective des astres, permettent de rapprocher et de comparer la description du ciel du 19/06/1889 avec celui la toile de van Gogh du même jour. On découvre alors dans ces tables, que la nuit où Vincent avait peint sa toile, il y avait eu une conjonction de la Lune et de Vénus avec la constellation du Berger. Ce sont précisément ces trois astres que van Gogh a exactement reproduit le jour même de leur présence dans le ciel. Nombre d’autres toiles d’ailleurs affichent des références astronomiques comme dans  Sur la terrasse où l’on a pu identifier la présence de la Grande ourse.

                     Non, la « Nuit étoilée » de  Vincent van Gogh n’a pas été peinte par un fou comme on a pu l’écrire. Elle s’inscrivait au cœur de ses préoccupations picturales quand elle n’était pas induite par la maladie ou la volonté de reproduire un vrai ciel.

                                    Ouvrages consultés pour l'ensemble de l'analyse

Artaud A. Vincent van Gogh le suicidé de la société (1947) Gallimard 1974é

Boime A. – l’Histoire de la matière et la matière de l’Histoire ; Adam Buo 1990

Bariety M. Coury C. - Histoire de la médecine ; les grandes études historiques - Librairie Arthème Fayard - 1963

Crepaldi G. petite encyclopédie de l’impressionnisme – Nuit étoilée 302-303  Editions Solar 2006

Delahaye M.C. L’absinthe – Histoire de la Fée verte – Berger Levraut 1983

Jaspers K. Strindberg et van Gogh – Editions de Minuit 1993

Gastaut H. La maladie de Vincent van Gogh envisagée à la lumière des conceptions nouvelles sur l’épilepsie psychomotrice.    Musée de la Haye 1955

Michel F.B.  La face humaine de Vincent van Gogh – Bernard Grasset Paris 1999

Monneret  S. L’impressionnisme et son époque – Dictionnaire international – Robert Laffont 1980

Van Gogh – Dernières lettre Auvers sur Oise – Editions Mille et une Nuit - 1998

Walther Ingo F. – Metzger Rainer  Vincent van Gogh (première partie) Benedikt Taschen 2001

18 octobre 2013

L’inspiration de Frida Kahlo : son enfance (la poliomyélite).

          C’est sur un terrain peut être amoindri par un allaitement peu nutritif, qu’était survenue, vers l’âge de 7 ou 8 ans, une maladie considérée communément comme une poliomyélite.  Le symptôme principal était l’atrophie de la jambe droite et du pied droit avec arrêt de croissance du membre. Frida fut contrainte de garder sa chambre durant neuf mois, accompagnée par les soins affectueux de son père. Celui-ci notamment encourageait tous les jours sa fille à pratiquer différentes activités sportives dans le but d’éviter l’atrophie de la jambe. Malgré tous ses efforts jambe droite et pied droit restaient atrophiés et douloureux. Elle les dissimulait par trois ou quatre chaussettes. En position assise, le pied droit ne posait pas par terre et la jambe malade était cachée par l’autre. Elle corrigeait une claudication induite par l’atrophie de la jambe, en portant une bottine à talonnette et en sautillant pour donner l’impression d’une marche normale. Ceci lui valait de multiples railleries. Filles et garçons du voisinage avec leur cruauté instinctive et enfantine, la surnommée Frida, pata de palo (jambe de bois) ou Frida la boiteuse. Un autre diagnostic de la maladie avait été évoqué celui de Spina bifida  une malformation congénitale de la colonne vertébrale, qui pouvait également avoir affecté le développement de la jambe.


          Aussi, jusqu’à son dernier jour, va-t-elle détester cette jambe amaigrie qui la fait souffrir. Quelques années plus tard un grave traumatisme viendra alourdir les séquelles douloureuses déjà présentes. Soucieuse de son apparence, Frida qui était une très jolie fille, dissimulait sa jambe malade avec des habits de garçon ou sous d’amples robes. Le port d’une de ces robes a été l’occasion de l’ « Autoportrait avec un chien Itzcuintli » vers 1938. Frida porte un costume Tehuana toujours très ample et très apprécié des femmes du Yucatan. Mais ici, il est très large et trop long afin de dissimuler maigreur et     malformation  de la jambe droite. Chez Frida le port de la robe longue n’état pas univoque. Mexicaine dans l’âme elle aimait porter le costume traditionnel et, à cause de sa jambe disgracieuse elle préférait porter des robes longues plutôt que courtes.

Le calvaire de Frida Kahlo (suite)


          En 1946 Frida Kahlo a subi une opération de la colonne vertébrale à New York. Cette arthrodèse, intervention délicate et dangereuse compte tenu de l'état général de la patiente n'avait pas produit tous les bienfaits que les médecins en attendaient. Frida était sans doute elle même responsable pour ne pas avoir suivi à la lettre les recommandations de ses médecins. Elle n'avait alors qu'une idée en tête, celle de se remettre à peindre. C'est ce qu'elle devait faire,  cherchant toujours à exprimer les souffrances, les mutilations, occasionnées par les nombreuses interventions neurochirurgicales dans ses toiles. "Arbre de l'espérance, reste ferme 1946" est à ce titre une toile importante.
          Elle a été peinte après l'opération faites à New York, pour un de ses mécènes à qui elle racontait son calvaire physique "rien que le résultat de cette foutue opération". Dans sa lettre elle lui parlait du tableau et de cicatrices : Dans ce tableau j'y suis assise au bord d'un précipice - le corset de cuir à la main. Derrière je suis couché sur une civière - le visage tourné vers le paysage - une partie du dos dénudé où l'on voit la cicatrice des incisions que m'ont faites ces putains de chirurgiens."



                         


                                     Arbre de l'espérance, reste ferme 1946

          Un étrange tableau où Frida mettait en avant ce qu'elle avait convenu d'appeler - son double -. On peut voir en effet deux Frida. L'une, réelle, côté jour sous la lumière du soleil, encore anesthésiée et enveloppée dans un drap blanc. Elle vient de sortir de la salle d'opération, allongée sur un brancard, son dos nu laissant voir deux cicatrices. L'autre Frida, est celle qu'elle voudrait tant être dans le coeur de Diego Rivera son mari. Elle est vêtue d'un costume Tehuana rouge sang, tenant de sa main gauche une pancarte portant mention : Arbre de l'espérance tiens toi droit et de sa main droite un corset destiné à l'autre Frida. La première est en situation de sommeil comme morte, la seconde vivante au bord d'un précipice et donc en situation fragile. Ces deux Frida n'ont pas d'autre environnement qu'un paysage triste au sol crevassé qui reprend le dessin des cicatrices de Frida.
          Il y a dans ce tableau la lecture d'une souffrance physique et morale consécutive à l'opération subie. Frida veut sinon la partager du moins la faire connaître à son mari Diego. Elle lui délivre en même temps un autre message clair, celui de l'existence des deux Frida : "Tu refuses la Frida maintenant blessée et affaiblie. Tu refuses la Frida mexicaine et forte qui regarde l'avenir droit devant elle." Cette dualité du personnage est encore soulignée par les deux moitiés du tableau : Frida malade dont le corps est revigoré par la chaleur du soleil et la Frida pleine de vie rêvant d'un mieux être la nuit au clair de lune.

Le calvaire de Frida Kahlo (suite)

En 1946 la santé de Frida Kahlo s'était aggravée de façon ireversible. Elle avait subi le 4 juin 1946 à "Hospital for special Surgery" de New York, une arthrodèse complexe dont le but était de souder quatre vertèbres au moyen d'une greffe osseuse prélevée sur l'os du bassin. Une intervention acceptée après plusieurs avis et parce que elle devait être pratiquée par une sommité de la neurochirurgie de New York. Frida était donc optimiste et croyait que l'opération de la colonne vertébrale une fois réalisée la délivrerait de toutes ses douleurs. De retour à Mexico elle recommença à souffrir et fut rapidement atteinte de profondes dépressions. L'artiste exprima alors l'espoir de guérison déçu au moyen d'un autoportrait représentant un cerf blessé à mort par des flèches : Le cerf blessé ou Le petit cerf ou Je suis un pauvre gibier, 1946.

Le cerf blessé ou le petit cerf ou je suis un pauvre gibier, 1946


          Il s'agit d'un autoportrait où elle s'est représentée moitié humaine moitié animal, un corps de cerf et une tête de femme porteuse des bois. L'animal hybride traverse une clairière bordée par des arbres alignés, montrant visiblement le chemin à suivre. Mais au bout de ce chemin la foudre tombe dans un lac signifiant que la voie prise se terminera dans la douleur et par un échec.   
          L'animal (Frida) est blessé par neuf flèches, symbole de ses douleurs comme elles le furent pour le supplicié Saint Sebastien. Mais on peut voir aussi dans ce corps blessé le symbole des nombreux coups de bistouri qu'elle a dû endurer lors des neuf dernières opérations qu'elle venait de subir en un an. Frida regarde avec indulgence le spectateur, un clin d'oeil à ceux qui l'ont soutenue mais en même temps l'attitude  du cerf en travers du chemin est hésitante : quelle direction prendre? Preuve que la réussitte de l'intervention était pour elle et pour le chirurgien qui connaissait son indiscipline, très incertaine.