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15 mai 2024

La Sypihlis d'Henri Toulouse Lautrec et Alphonse Daudet - Deux aspects du Tabès.

 Une même maladie, deux localisations différentes, deux tableaux cliniques différents :

La Syphilis est une maladie infectieuse d’évolution prolongée due à Treponema pallidum transmise par contact vénérien (Maladie sexuellement transmissible = MST). A l’accident initial cutanéomuqueux avec chancre (ulcérations) et adénopathies (ganglions) de la forme primaire fait suite une période de diffusion de la maladie dite secondaire. Elle intéresse surtout la peau et les muqueuses. Si la maladie n’a pas été traitée efficacement, c’était le cas à l’époque,  elle peut donner après un silence clinique variable, une à plusieurs années, des atteintes viscérales  frappant surtout le cœur, les vaisseaux et le système nerveux définissant la forme tertiaire de la maladie ou Neurosyphilis.

La syphilis nerveuse (Neurosyphilis) en est l’aspect le plus redoutable. Elle se présente sous deux formes anatomocliniques. Elle peut être  liée à une atteinte cérébrale (méningo-encéphalite évoluant vers la démence) appelée Paralysie générale ou une atteinte spinale (atteignant les cordons postérieurs de la moelle et donc la sensibilité des organes) à l’origine d’une ataxie locomotrice (Edouard Manet) accompagnée de douleurs invalidantes  appelée Tabès (Alphonse Daudet).

Dans l’histoire de la syphilis, qui ne choisit pas sa cible, nombre de personnes illustres ont été atteintes. Parmi celles qui ont présenté une Syphilis nerveuse médullaire (Tabès) nous avons choisi de parler de deux cas  celui du peintre Henri de Toulouse Lautrec et de l' écrivain Alphonse Daudet. Tous les deux avaient une atteinte spinale, mais à des niveaux anatomiques différents impliquant à côté de troubles communs au Tabès, une clinique spécifique.

La maladie étant sexuellement transmissible, la recherche de la contamination était primordiale pour son diagnostic à une époque où la confirmation bactériologique et/ou immunologique n’existait pas. L’étude du comportement sexuel de l’intéressé était donc fondamentale.

     Toulouse Lautrec  

« Quand je pense que je n'aurais jamais été peintre si mes jambes avaient été un peu plus longues » 

disait Toulouse Lautrec. Il n’aurait peut-être pas été syphilitique tant on sait que c’est son physique (sa petite taille) qui l’avait conduit à vivre parmi les prostituées. 

Henri de Toulouse Lautrec

Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901) était surnommé au collège « le petit bonhomme » car suite à une série de fractures des membres inférieurs (fémur) survenues dans son enfance, il avait cessé de grandir. Il avait une maladie génétique rare une  «pycnodysostose »  s’accompagnant de dysmorphie cranio-faciale et des extrémités: nez volumineux renflé à son bout et petit maxillaire inférieur. Ses mains étaient courtes et trapues avec des doigts raccourcis et boudinés. Si Toulouse Lautrec avait  une maladie rarissime, il allait par contre contracter une maladie fréquente en ce milieu du XIX e siècle la syphilis.

Toulouse Lautrec quittait Albi pour Paris après avoir échoué au baccalauréat. Son but était de « devenir artiste ». Il s’installait à Montmartre, fréquentait le Moulin Rouge et les maisons closes. Celles-ci étaient le domaine des Prostituées et un repère de syphilis. Que Toulouse Lautrec soit devenu syphilitique n’était donc pas en soi une surprise. La multiplicité et la permanence des rapports sexuels avec des prostituées ne lui laissait que peu de chance de passer à côté, d’autant qu’il avait élu domicile dans un bordel. Sa syphilis était reconnue au stade tertiaire de l’affection, une atteinte médullaire basse qui provoquait chez lui un effet secondaire spectaculaire et douloureux : un priapisme. En dessous de la lésion médullaire il y a une abolition de tous les réflexes sous-jacents et une vasodilatation. La situation devient pénible et extrêmement douloureuse à cause d’une rétention sanguine dans les corps caverneux responsable de l’érection du pénis qui s’en suit. Le priapisme est affirmé quand, au bout de quatre heures d’érection sans excitation sexuelle, le pénis n’a pas retrouvé sa flaccidité normale. La conjonction de la petite taille du peintre et celle du pénis dressé perpendiculaire au corps, lui ont valu  le surnom de « théière » auprès des prostituées montmartroises (il faut se représenter mentalement le tableau pour comprendre…). Toutefois ce n’est pas la syphilis qui l’emportera. En 1901 Toulouse Lautrec entre dans un sanatorium pour soigner des crises de démence, causées à la fois par la syphilis et son alcoolisme (absinthe). Il meurt quelques mois plus tard.

 Alphonse Daudet 

« - Qu'est-ce que vous faites, en ce moment ? - Je souffre. » Alphonse Daudet dans « La Doulou »  

Alphonse Daudet

Nous aurons ici, en vue, l’aspect le plus significatif du tabès de Daudet, celui qui a conduit l’écrivain à faire la description de sa  souffrance physique : la Douleur. Il avait un tableau clinique complet de la maladie d’où émergeait des crises douloureuses fulgurantes.

Alphonse Daudet (1840-1897) poète provençal, est connu pour être doux et rêveur. On connaît moins l'autre face du charmant Nîmois celui qui à 18 ans contracta la syphilis dans l'insouciance de la bohème parisienne. C’est en 1858 qu’il contracte la syphilis auprès d’une dame de compagnie de l’Impératrice Eugénie. Après une longue période, plus de vingt années, de troubles divers, qu’il tente de calmer par des cures thermales (Allevard ; Neris les Bains), il prend avis auprès du célèbre neurologue Jean Martin Charcot qui diagnostique de façon formelle un Tabès dorsalis. Après un traitement au mercure, la maladie resta en sommeil. Daudet écrivit, publia, se maria, eut trois enfants et des maîtresses.  

Pendant le dernier tiers de sa vie, Daudet fut en effet affecté d'une forme particulièrement douloureuse de syphilis, plus précisément de « Neurosyphilis » : le tabès dorsal. C’est une dégénérescence de la moelle au niveau de la colonne vertébrale dorsale, avec comme conséquence une altération des terminaisons nerveuses, qui feront, de sa vie par l'intensité des douleurs provoquées, un chemin de croix. Il a pu consacrer à ce supplice de tous les instants,  un journal intime de son calvaire : La Doulou (la douleur, en langue d'Oc). Une œuvre publiée à titre posthume grâce à l’obligeance de son épouse Julia qui trente-trois ans après sa mort publia les pages de son journal.

La description qu’il donne de sa maladie et que vérifient des extraits du journal de son ami Edmond de Goncourt,  est surprenante de vérité. Les douleurs qu’il décrit sont brèves, fulgurantes, térébrantes évoluant par accès apparaissant en un point précis, comme un éclair puis diffusant dans le corps. Ces douleurs ont une variabilité dans le temps qui lui fait écrire : « Douleur toujours nouvelle pour celui qui souffre. »  « Douleurs qui se glissent partout dans ma vision, mes sensations, mes jugements, c’est une infiltration » « …talons rongés par des dents de rats très aiguës. » Page après page il exorcise sa souffrance : « Quelquefois je me demande si ce n'est pas aux inoculations de Pasteur que je devrais recourir, tellement je sens dans ces douleurs suraiguës, ces torsions, ces secouées furieuses, ces crispations de noyé, une analogie avec l'accès rabique… »

L’origine médullaire de ces douleurs est affirmée par leur association à une perte de la sensibilité profonde au niveau des muscles, des os, des articulations ce qui entraine une perte du sens de la position des membres : "une sensation de la jambe qui échappe, se glisse, sans vie"  « Parfois je perds le sentiment d’une partie de mon être - tout là-bas ; mes jambes s’embrouillent… »

La fréquence de ces douleurs, justifiait l’emploi d’antalgique, analgésique. Il en viendra à la morphine suivi d’une rapide dépendance. Edmond de Goncourt en donne une confirmation « Le malheureux pendant les deux heures qu’il passe chez moi, se fait trois piqûres de morphine »

Heureusement en Littérature, Alphonse Daudet avait gardé ses facultés intellectuelles : « L’intelligence toujours debout » dit-il. Il le prouve lui-même lors de son séjour à Lamalou-les- Bains. Dans cette station thermale spécialisée pour le Tabès. Il y rencontre des malades à différents stades de la maladie et en décrit l’évolutivité. 


Son esprit reste suffisamment clair pour faire avec objectivité la critique de son état :
 « … le constat de sa dégradation physique, la fatigue, le manque de sommeil, l’amène à penser à la mort » En août 1889 après une nuit  de calvaire, il exprime clairement son désir : « … il lui vient à l’esprit l’idée d’en finir ; malgré lui, il compte le nombre de gouttes d’opium qu’il faut pour cela et ça lui fait un peu peur d’être hanté par cette sensation. »

La Délivrance survient brutalement le 16 décembre 1897.

 

 

 

 

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