Une même maladie, deux localisations différentes, deux tableaux cliniques différents :
La
Syphilis est une maladie infectieuse d’évolution
prolongée due à Treponema pallidum
transmise par contact vénérien (Maladie sexuellement transmissible = MST). A
l’accident initial cutanéomuqueux avec chancre (ulcérations) et adénopathies
(ganglions) de la forme primaire fait suite une période de diffusion de la
maladie dite secondaire. Elle intéresse surtout la peau et les muqueuses. Si
la maladie n’a pas été traitée efficacement, c’était le cas à l’époque, elle peut donner après un silence clinique
variable, une à plusieurs années, des atteintes viscérales frappant surtout le cœur, les vaisseaux et le
système nerveux définissant la forme tertiaire de la maladie ou Neurosyphilis.
La syphilis nerveuse (Neurosyphilis) en
est l’aspect le plus redoutable. Elle se présente sous deux formes anatomocliniques. Elle peut être liée à
une atteinte cérébrale (méningo-encéphalite évoluant vers la démence)
appelée Paralysie générale ou une atteinte spinale (atteignant
les cordons postérieurs de la moelle et donc la sensibilité des organes) à
l’origine d’une ataxie locomotrice (Edouard Manet) accompagnée de
douleurs invalidantes appelée Tabès (Alphonse Daudet).
Dans l’histoire de la syphilis, qui ne
choisit pas sa cible, nombre de personnes illustres ont été atteintes. Parmi
celles qui ont présenté une Syphilis nerveuse médullaire (Tabès) nous
avons choisi de parler de deux cas celui du peintre Henri de Toulouse Lautrec et de l' écrivain Alphonse Daudet. Tous les
deux avaient une atteinte spinale, mais à des niveaux anatomiques différents
impliquant à côté de troubles communs au Tabès, une clinique spécifique.
La maladie étant sexuellement transmissible, la recherche de la contamination était primordiale pour son diagnostic à une époque où la confirmation bactériologique et/ou immunologique n’existait pas. L’étude du comportement sexuel de l’intéressé était donc fondamentale.
Toulouse Lautrec
« Quand
je pense que je n'aurais jamais été peintre si mes jambes avaient été un peu
plus longues »
disait Toulouse Lautrec. Il n’aurait peut-être pas été syphilitique tant on sait que c’est son physique (sa petite taille) qui l’avait conduit à vivre parmi les prostituées.
Henri de Toulouse Lautrec |
Henri
de Toulouse Lautrec (1864-1901) était surnommé au
collège « le petit bonhomme » car
suite à une série de fractures des membres inférieurs (fémur) survenues dans
son enfance, il avait cessé de grandir. Il avait une maladie génétique rare une
«pycnodysostose » s’accompagnant de dysmorphie cranio-faciale et
des extrémités: nez volumineux renflé à son bout et petit maxillaire inférieur.
Ses mains étaient courtes et trapues avec des doigts raccourcis et boudinés. Si
Toulouse Lautrec avait une maladie
rarissime, il allait par contre contracter une maladie fréquente en ce milieu
du XIX e siècle la syphilis.
Toulouse Lautrec quittait Albi pour Paris
après avoir échoué au baccalauréat. Son but était de « devenir artiste ». Il
s’installait à Montmartre, fréquentait le Moulin Rouge et les maisons closes.
Celles-ci étaient le domaine des Prostituées et un repère de syphilis. Que
Toulouse Lautrec soit devenu syphilitique n’était donc pas en soi une surprise.
La multiplicité et la permanence des rapports sexuels avec des prostituées ne
lui laissait que peu de chance de passer à côté, d’autant qu’il avait élu
domicile dans un bordel. Sa syphilis était reconnue au stade tertiaire
de l’affection, une atteinte médullaire basse
qui provoquait chez lui un effet secondaire spectaculaire et douloureux : un priapisme.
En dessous de la lésion médullaire il y a une abolition de tous les réflexes
sous-jacents et une vasodilatation. La situation devient pénible et extrêmement
douloureuse à cause d’une rétention sanguine dans les corps caverneux responsable
de l’érection du pénis qui s’en suit. Le priapisme est affirmé quand, au bout
de quatre heures d’érection sans excitation sexuelle, le pénis n’a pas retrouvé
sa flaccidité normale. La conjonction de la petite taille du peintre et celle du pénis dressé
perpendiculaire au corps, lui ont valu le
surnom de « théière » auprès des prostituées montmartroises (il faut
se représenter mentalement le tableau pour comprendre…). Toutefois ce n’est pas la syphilis
qui l’emportera. En 1901 Toulouse Lautrec entre dans un sanatorium pour soigner
des crises de démence, causées à la fois par la syphilis et son alcoolisme (absinthe). Il
meurt quelques mois plus tard.
« - Qu'est-ce que vous faites, en ce moment ? - Je souffre. » Alphonse Daudet dans « La Doulou »
Alphonse Daudet |
Nous aurons ici, en vue, l’aspect le plus
significatif du tabès de Daudet, celui qui a conduit l’écrivain à faire la description de sa souffrance physique : la Douleur. Il avait un tableau clinique complet de la maladie
d’où émergeait des crises douloureuses fulgurantes.
Alphonse Daudet (1840-1897) poète provençal,
est connu pour être doux et rêveur. On connaît moins l'autre face du charmant
Nîmois celui qui à 18 ans contracta la syphilis dans l'insouciance de la bohème
parisienne. C’est en 1858 qu’il contracte la syphilis auprès d’une dame de
compagnie de l’Impératrice Eugénie. Après une longue période, plus de vingt
années, de troubles divers, qu’il tente de calmer par des cures thermales (Allevard ;
Neris les Bains), il prend avis auprès du célèbre neurologue Jean Martin Charcot qui diagnostique de
façon formelle un Tabès dorsalis. Après un traitement au mercure, la maladie
resta en sommeil. Daudet écrivit, publia, se maria, eut trois enfants et des
maîtresses.
Pendant le dernier tiers de sa vie, Daudet fut en effet affecté d'une forme particulièrement douloureuse de syphilis, plus précisément de « Neurosyphilis » : le tabès dorsal. C’est une dégénérescence de la moelle au niveau de la colonne vertébrale dorsale, avec comme conséquence une altération des terminaisons nerveuses, qui feront, de sa vie par l'intensité des douleurs provoquées, un chemin de croix. Il a pu consacrer à ce supplice de tous les instants, un journal intime de son calvaire : La Doulou (la douleur, en langue d'Oc). Une œuvre publiée à titre posthume grâce à l’obligeance de son épouse Julia qui trente-trois ans après sa mort publia les pages de son journal.
La description qu’il donne de sa maladie et que vérifient des extraits du journal de son ami Edmond de Goncourt, est surprenante de vérité. Les douleurs qu’il décrit sont brèves, fulgurantes, térébrantes évoluant par accès apparaissant en un point précis, comme un éclair puis diffusant dans le corps. Ces douleurs ont une variabilité dans le temps qui lui fait écrire : « Douleur toujours nouvelle pour celui qui souffre. » « Douleurs qui se glissent partout dans ma vision, mes sensations, mes jugements, c’est une infiltration » « …talons rongés par des dents de rats très aiguës. » Page après page il exorcise sa souffrance : « Quelquefois je me demande si ce n'est pas aux inoculations de Pasteur que je devrais recourir, tellement je sens dans ces douleurs suraiguës, ces torsions, ces secouées furieuses, ces crispations de noyé, une analogie avec l'accès rabique… »
L’origine médullaire de ces douleurs est
affirmée par leur association à une perte de la sensibilité profonde au niveau
des muscles, des os, des articulations ce qui entraine une perte du sens de la
position des membres : "une sensation
de la jambe qui échappe, se glisse, sans vie" « Parfois je perds le
sentiment d’une partie de mon être - tout là-bas ; mes jambes
s’embrouillent… »
La fréquence de ces douleurs, justifiait
l’emploi d’antalgique, analgésique. Il en viendra à la morphine suivi d’une
rapide dépendance. Edmond de Goncourt en donne une confirmation « Le malheureux pendant les deux heures
qu’il passe chez moi, se fait trois piqûres de morphine »
Heureusement en Littérature, Alphonse Daudet avait gardé ses facultés intellectuelles : « L’intelligence toujours debout » dit-il. Il le prouve lui-même lors de son séjour à Lamalou-les- Bains. Dans cette station thermale spécialisée pour le Tabès. Il y rencontre des malades à différents stades de la maladie et en décrit l’évolutivité.
Son esprit reste suffisamment clair pour faire avec objectivité la critique de son état : « … le constat de sa dégradation physique, la fatigue, le manque de sommeil, l’amène à penser à la mort » En août 1889 après une nuit de calvaire, il exprime clairement son désir : « … il lui vient à l’esprit l’idée d’en finir ; malgré lui, il compte le nombre de gouttes d’opium qu’il faut pour cela et ça lui fait un peu peur d’être hanté par cette sensation. »
La Délivrance survient brutalement le 16
décembre 1897.
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